mardi 29 décembre 2009

Une jeune femme me demande si elle peut me rejoindre sur le banc. Elle porte un petit blouson rose sous le bras, tient un sandwich enveloppé dans du papier aluminium. Je lui fais de la place, pose mon sac et ma veste sous le banc, sa petite fille en jupe verte s'assied à côté de moi. Le banc est inconfortable, je compte malgré tout entamer la lecture de 24h dans la vie d'une femme. Le dossier est trop penché pour que je trouve une position convenable, mes avants-bras sur les cuisses. La fillette déchire le papier aluminium et enfonce le sandwich dans sa bouche, ça sent la confiture d'abricot.
J'ouvre le livre, commence à lire l'introduction du traducteur, un homme sans jambes passe devant moi, je le regarde discrètement, masqué derrière le livre, mais la fillette en jupe verte laisse tomber son sandwich dans les gravions et fourre sa tête entre les jambes de sa mère. Elle se tord la gorge, crie et pleure à sanglots saccadés. L'homme sans jambes avance tranquillement dans la bise automnale, des feuilles mortes tombent sans cesse du ciel. Une jolie fille lui tient la main. Voyant la fillette effrayée par son allure, l'homme sourit. En vérité l'homme a des jambes. Sortes de machines en métal, articulées au niveau des genoux, il a peut être été militaire. Ces deux pièces inquiétantes me mettent mal à l'aise, un goût d'huile de vidange croupit au fond de ma gorge. J'ai envie de hurler à la gueule de cet individu, un garçon en planche à roulettes fait une chute, mon attention est détournée.

Sa mère court vers lui en criant son prénom, mais je n'ai jamais entendu pareil prénom, sans doute un prénom flamand. Prénom. Se relève, en frottant son menton qui saigne, sa mère lui flanque une fessée. La fillette en jupe verte court vers la balançoire, en frottant ses yeux qui coulent. Je me concentre sur l'introduction du traducteur. C'est à ce moment là que, mon anus, émet une drôle de sonorité, particulièrement puissante. Le banc vibre, mes yeux roulent sur les côtés, j'aperçois une vieille dame sur le banc voisin, sa mâchoire tremble de manière insensée. Elle semble ruminer quelque chose, des morceaux d'avoine s'échappent d'une grosse bouche couverte de mauve. Elle regarde vers moi l'air outré. Sa robe découpée dans un rideau Victorien fait ressortir sa grosse tête de hiboux coiffée de lunettes rondes à larges foyers. Je ris aux éclats, enjoué par l'allure de cette vieille peau. La femme assise à l'autre bout de mon banc écoute (son baladeur mp3), elle est coiffée d'un gros casque audio. Elle semble ne pas avoir entendu mon vacarme alors je plonge enfin dans le bouquin en espérant que l'odeur ne l'atteindra pas. La bise s'en chargera, sans doute.

Après quelques pages je relève la tête. Le bâtiment sur ma gauche est très vieux, fait de pierre rouge, une ancienne école, des locaux municipaux. En fait j'en sais rien, je le trouve joli. A côté, un temple, des juifs sortent, la prière est terminée. Les enfants se précipitent vers les jeux et le bac à sable. Il ont tous le crâne rasé de près sous leurs kippas. Seules deux mèches de cheveux demeurent sur les côtés, au dessus des oreilles. Les filles sont vêtues de robes strictes, les garçons ont des costumes en velours.
La fillette en jupe verte se balance devant moi, les anneaux qui retiennent les cordes à la barre centrale grincent de façon aléatoire. Quand elle s'élance vers le ciel, j'aperçois une culotte jaune à travers des collants blancs. Mon regard s'arrête: un couple de dames assises sur un banc en face de moi. Ces dames sont très âgées, l'une d'entre elles est bizarrement constituée. Elle est immense, de longs bras, des doigts très maigres, le visage creusé, des yeux globuleux. Une fine chevelure blanche glissent sur des épaules pointues. Un pantin dans une vitrine de magasin de jouets anciens, dans un grenier d'antiquaire. Elle est disproportionnée, sa robe laisse entrevoir deux bâtons couverts de collants marrons flottants dans des souliers vernis. J'aimerai essayer de porter cette femme, de la lancer sur le sol. Ses os semblent si fragiles, j'ai envie de les briser, de tordre ses poignets. Peut-être souffre-t-elle du syndrome de Marfan, celui d'Abraham Lincoln, de Joey Ramone. Bradford Cox. Je voudrais m'asseoir sur sa tête, lui retirer son châle, lui arracher ses habits. Cette dame doit être belle toute nue, imaginer son corps squelettique étendu sur un drap de soie noir réchauffe le bas ventre. Sa beauté n'est pas évidente à première vue, il faut s'habituer à l'aspect étrange de sa silhouette, à son allure de mante religieuse.

Des couinements alentours. Des cris d'enfants, des rires épars. Un vieux fait tomber ses clefs, je le regarde se pencher avec difficulté pour les ramasser, s'appuyant sur son déambulateur. Un grand-père juif (parcourant le parc des yeux en fait) avance dans ma direction avec son petit fils, à quelques mètres de mon banc le juif s'arrête et me tourne le dos. Ils se mettent à jouer au badminton. Grand-père lance le volant en l'air et le frappe avec sa raquette. Petit fils se jette dessus mais il le manque. Le volant tombe sur les graviers. Deux personnages, endimanchés, coiffés de kippas. La kippa du grand-père juif est attachée à sa chevelure grisonnante avec une barrette. Il se retourne régulièrement vers moi en souriant. Je ne sais pas ce qu'il me veut.

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