vendredi 30 avril 2010

Un vent humide passait tranquillement sous l'hôpital, ça ne dérangeait pas le garçon. Des câbles épais découpaient le paysage, suspendus d'un bout à l'autre, traversant l'horizon au dessus du sentier côtier. Sa fenêtre ouverte évacuait les odeurs, en laissait entrer de plus agréables, celles des voiles, des oursins, des algues dandinantes.
Ses bras reposaient mollement sur les draps, ses journées consistaient à suivre des yeux les oiseaux au-dessus de la plage, parfois on le poussait jusqu'au rivage, les roues dans les vagues proches, dans l'écume mousseuse et blanchâtre. Il arrivait qu'on s'embourbe à mi-chemin, le sable fin s'écroule sur un ancien circuit de billes, les infirmières riaient en tirant plus fort, l'une pousse l'autre tire, il voyait leurs cuisses leurs seins le vent plaque les blouses, il riait avec elles.
Tous les visages sont illuminés, l'air de la mer, Los Angeles en poster sur la porte, ils sont jeunes. Il ne pourra plus faire de skate avec les autres mais il pourra toujours dériver sur l'océan, sur un canard gonflable. Les infirmières l'embrassaient souvent, il n'était pas malheureux complètement, il pourrait bien se passer d'enfants après tout (il oubliait qu'il n'avait que 20 ans, à 20 ans on n'est pas forcément en âge de décider si on souhaite en avoir)
Il trouvera une autre copine en sortant d'ici. Il est beau garçon, nez cassé. La précédente n'avait pas voulu attendre si longtemps. On peut la comprendre, à 20 ans on n'a pas le temps d'attendre chaque instant compte chaque moment vécu doit être extraordinaire. Elle aurait pu passer ses journées à lire sur la plage en léchant des glaces à l'eau pourtant. Pas assez percutant, pas assez de rebondissement? Il faut tourner les pages, éviter de se couper avec leurs profils tranchant. Non, tourner sa langue dans des grosses bouches sucer des sexes, c'est ça.
Le garçon aimait la couleur du ciel le soir parfois, des nappes de oranges et de verts, un peu de mauve bavant. Au dessus de la ligne d'eau des touffes de bleu marine extrêmement foncé. Il était rare qu'on fermât la fenêtre, il se sentait vivre quand un souffle venait décoiffer les poils sur ses bras.

vendredi 23 avril 2010

-pourquoi tu prends rien?
-j'ai pas encore assez faim
-qu'est ce que c'est que ça?
-une vraie tomate
-mon dieu comment en sommes nous arrivé là?

les hommes après avoir cueilli des légumes sauvage, voilà qu'ils se mettent à les cultiver
la courge, on la retrouve dix mille ans avant l'ère chrétienne

sept, dix mille ans, le chou

les panais viennent du nord de l'europe, ce sont des cousins de la carotte, pendant 30 mille ans nous allons consommer des panais

-tiens ça c'est de la soupe aux choux, de la vraie
la soupe aux choux ça parfume jusqu'au trognon

le chou est bourré de vitamines
il symbolise le monde paysan
"il pète comme un chou"

Ah ! La bonne soupe, soupe
Ah ! La bonne soupe aux choux
Que vous mangerez avec nous
Ah ! La soupe aux choux !
you!

mardi 13 avril 2010

Du caramel érotique dégouline sur la chemise que je viens de repasser. C'est pas quelque chose que je peux prendre à la légère, j'empoigne une boîte d'allumettes et brûle ça immédiatement. Mon voisin de table se fait piquer par une mouche. Il y en a plusieurs autour de lui, il n'a jamais apprécié la douceur des bains, les bulles de savon le rendent nauséeux. Il faut ajouter qu'on se trouve dans une petite maison, en pleine campagne bretonne. Des communautés de bovins nous encerclent. La négligence de mon camarade en matière de toilette corporelle ne peut être considérée comme seule responsable.
"Quelle mouche te pique?" je demande.
"J'en sais rien. Tu sais, elles sont si nombreuses, je ne les reconnais jamais, et puis, elles circulent si vite. Vois comme elles zigzaguent dans la pièce, de véritables bolides mon pote"

Je termine la vaisselle pendant qu'il pisse devant la maison. Il fait bon aujourd'hui, on va aller marcher dans les environs. Atteindre le sommet, redescendre par l'autre versant, main dans la main. Je pense qu'il m'offrira un pétale de muguet après qu'on ait traversé les champs encore humides qui entourent la colline. Je sais qu'une sensation déplaisante m'envahira aussitôt qu'on aura atteint le café près de la route: je devrais essorer mes chaussettes sur le plancher, garder les pieds en éventails pendant un bon moment. Mon camarade soufflera sur leur plante.

Je fais du rangement dans le bureau, déjà je l'entends qui soupire dans le vestibule. Il déteste l'ordre et la propreté, ça le déséquilibre quand il avance dans la maison. Mais si je le laissais gérer les choses à sa manière, tout irait de travers. Je préfère sentir la chaleur du fer sur mes slips, lui ça le répugne. Parfois je lui repasse une jupe, il a les lèvres qui deviennent noires, il sautille partout et grimpe en haut des silos à grain.
"D'ici on entend mieux le ruisseau qui coule sous la propriété. Tiens au fait j'ai croisé la nouvelle bibliothécaire ce matin, elle a une sacrée paire tu verras. Elle a l'air stricte, je doute qu'on puisse continuer de jouer à la belote sur les canapés, comme nous laissais faire l'ancienne. Je dis ça, j'en sais rien. Ce sont ses lunettes qui m'ont donné cette impression de joie soudainement achevée"

Joie soudainement achevée. Moi aussi, j'ai cette impression qui zone en moi depuis quelques semaines. Depuis la mort de notre chien. Un lévrier à tâches, foudroyé par l'immense roue arrière d'un tracteur. Avec mon camarade on a été brûler toute la récolte de ce mec. Il nous en veut pas tout à fait vu qu'il a lui aussi un lévrier à tâches. Il comprend notre peine: sa femme dépose une jarre de confiture le dimanche matin en allant à la messe. Confiture qu'elle prépare avec sa rhubarbe.

"Et au milieu je sais pas trop. Je pense que les récifs n'y sont pas, on peut nager sans craindre pour ses pieds. Une coupure au pied dans l'eau de mer te picote terriblement"
Le vent bouche mes oreilles. Cet été nous avons voyagé sur la côte californienne. San Francisco ça sent comme Bob Saget en fait. Son eau de toilette j'imagine traînait encore dans le coin. Mon camarade était coiffé d'un mulet, hommage à Jesse Katsopolis et à Angus Mac Guyver. On a couru comme des malades sur le pont rouge, ça nous a fait un bien. Le chien était avec nous, il mordait les connards.
Quand il faisait beau on allait profiter des seins nus sur les plages. Comme il faisait beau tous les jours on passait notre temps à faire ça. On discutait beaucoup tous les deux, surtout de Deleuze car on le voyait souvent dans les nuages (c'était notre jeu de l'été, trouver le maximum de philosophe dans les nuages) parfois le chien intervenait. Trois coups d'aboiement indiquaient qu'il avait soif.
Le soir on allait respirer à l'hôtel. On achetait des crayons et on respirait la mine. Coutume de notre jeunesse à tous les deux. La mine taillée je veux dire. On respirait la mine taillée.