jeudi 10 décembre 2009

Le berger quitte son étoile

Bras gauche sue sous le plâtre, toujours mal au cul. Je ferme les paupières très fort, et là ma soeur se met à courir dans les rayons en renversant les pots de confitures. Elle est suivie de près par un gros cheval recouvert d'un rideau de douche.
"Vous ne devriez pas garder cet ordinateur portable sur vos parties génitales, vous risquez de devenir stérile"
"Hm mouais..." je fais sans relâcher la pression des paupières.
Elle reste plantée devant moi un moment, les poings fermés sur les hanches.
"Enfin comme vous voulez après tout je m'en fiche"
Le ton de sa voix varie énormément, ça module ça fait des vagues (adolescent boutonneux ou pélican coincé dans un tonneau)

Refait mes pansements, déposé une assiette de haricots blancs et tomates farcies à mon chevet, Suzanne l'infirmière quitte ma chambre dans un souffle d'eau de Javel. En poussant son chariot. Elle n'a pas, l'un de ces culs, qui vous restent dans la tête... Cette fille casse le mythe (de l'infirmière, dans les pornos) c'est un véritable thon. Parfois je ferme un oeil et tend le bras en recouvrant la tête de Suzanne par la tête de Shakira que j'ai découpé dans le TéléPoche.
J'ai la nausée, la bouche pâteuse, une feuille morte tombe sur le parquet par la fenêtre ouverte. Cette connasse aurait pu la fermer, merde. L'automne gris plombe le ciel, l'ambiance est à la déprime. Impression de revivre un dimanche soir, ceux de quand on est môme, on vit ses dernières miettes de week-end devant Ca cartoon avec un bol de chocolat chaud en sachant que demain matin on doit se lever et prendre le chemin de l'école. Les journées à l'hôpital ressemblent toutes à ces dimanches soirs. Sans mon MacBook ça serait infernal. Aucun réseau web gratuit ne traîne ses savates par ici et ces enfoirés veulent pas me refiler leur code d'accès Wanadoo.
"C'est impossible Monsieur, comprenez ça?"

Une semaine qu'on m'a enfermé ici. Un soir ma mère me retrouve étalé sur le carrelage de la salle de bain dans une flaque de sang rose. Viens de prendre une douche, me débarrasser de toute cette sueur qui s'accumule lors d'une masturbation intensive devant Youporn. Sortant de la baignoire, mon pied glisse sur le sol trempé (j'ai pas foutu mes fringues sales par terre pour éponger la flotte) Entorse à la cheville droite. Ma nuque s'enfonce dans le coin d'une étagère, je dois crever mais le coup du lapin ne fait pas, son effet. Mon coude gauche s'écrase contre le carrelage, l'articulation veut s'en aller dans un excès de folie d'après ma mère. Elle n'assume plus son rôle. Relier le radius, le cubitus et l'humérus. Reste inconscient pendant un moment. Je refais surface, une antilope se fait déchiqueter par un puma. Des hérons s'envolent dans le ciel rouge.

"Mal au cul"
Ma grand-mère assise au bout du lit regarde un document sur la savane à la télé. A la fenêtre derrière son journal mon père épie le ciel car la lune vomit un liquide jaunâtre sur les étoiles qui dansent le tango.
"Ah ça y est tu te réveilles enfin!"
"Tu nous as fait peur tu sais"
"T'as dû plonger dans une sorte de comas mon pauvre fiston"
Une girafe broute un arbre, la lune tourne de l'oeil et le berger enfourche sa bicyclette. Il quitte son étoile en interrogeant sa montre.
Silence de quelques minutes.
"J'suis allongé ici depuis quand?"
"Hier soir. Tu te sens comment?"
"J'ai mal au cul"
Deux orignaux sont poursuivis par un guépard. C'est fou comme ça court vite un guépard. Je me redresse, mon coude gauche me fait très mal, je crie.
"Ne bouge pas trop mon poussin"
Une explosion retentit dans le cosmos, le berger a roulé sur un clou. Alors les étoiles s'arrêtent de danser et moi je regarde ma grand-mère dans les yeux.
Elle a de jolis yeux verts.
"Tu dois avoir faim, tiens, Suzanne l'infirmière a déposé ça pour toi"
"J'aime pas les épinards grand-mère"
Elle ouvre son sac à main et me tend un gros paquet de bonbons Kréma.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire