lundi 10 octobre 2011

(de la Jusquiame) Gémir à la fontaine



La pluie vient de s'arrêter. Je me réveille sur le ventre, à quelques mètres du grand ruisseau, abrité par la bâche imperméable suspendue aux branches de l'érable. J'ai choisi de coucher sur des touffes de véronique. Ses feuilles dentées à poils laisseront leurs empreintes sur mes joues jusqu'à demain. Ma sieste a trop durée, la digestion était éprouvante. C'est ce mouton, partagé avec la Jusquiame plus tôt dans l'après-midi, vers quatorze-heure.

Les narcisses d'automne déménagent, affolés, ils perdent la tête malgré eux. On les sent dans les prés alentours, je perçois leur fuite nerveuse. De l'activité dans les prés, dans des mottes de terre mouillée.
La Jusquiame n'a pas attendu mon réveil, elle a filé en laissant son baume. Dans le fertile verger, l'allégresse subsiste encore.

Je parlais ce matin avec l'Atropa Belladona, conversation avec la Belle dame. Nous avions tous deux le coeur tiède, les fesses trempées dans le bassin de la fontaine.
Belle dame. Elle avait pleuré toute la nuit durant, et elle se présentait là, devant moi, des cristaux blancs sous les cils, légers et soyeux, très solubles dans l'alcool mais moins dans l'eau. Sa moue remplacée par des lèvres d'abord rouges, qui devenaient ensuite d'un violet foncé ressemblant à des petites cerise.
D'après le docteur A. Narodetski, ces cerises contiennent un poison violent, l'atropine. Je résistai alors à mes folles envies de lui nouer ma langue autour du cou ou de lui croquer la bouche d'un claquement de dents. L'atropine est extrêmement active et peut déterminer des accidents très graves même à la dose d'un centigramme.


Les épaules nues de l'Atropa Belladona, la fraîcheur des bourrasques. Le soleil blanc et l'orgue dans la chapelle.
Pendant cette pause matinale qui s'étirait, nous vîmes sur le fin gravier du jardin arpenter de vieux hommes. Des lots de fanions attachés à leurs manches.
"La kermesse la semaine suivante" disaient-ils. Il fallait préparer la zone, organiser des stratagèmes.
Ces hommes étaient les mendiants. Ils avaient mal à l'estomac, on le devinait à leur démarche abrupte et hésitante. Ils buvaient le Koumis dans des biberons-tasse, le lait de jument fermenté. Atropa m'expliquait. Mais mon esprit s'égarait déjà vers les jupons de la Jusquiame, cette salope dont on parlait tellement au village ces derniers-temps.

Mes coups de têtes et mes désespoirs m'ont amenés (Marcel C. avait bien assez insisté sur ce point en fin d'après-midi, durant le pot qui suivit la noce, et dans son ivresse il avait raison, Marcel C.) ils m'ont amenés, sans revendication, à tourner le dos à ce que je prenais jusqu'ici pour ma vie.
"Je veux dire son agitation" répétait Marcel C. Marcel C. la mine déconfite. L'Herbe aux gueux devant sa figure.
Plante dangereuse: son usage peut occasionner la mort.

Les mendiants se frottent le corps avec son suc pour déterminer des ulcères afin d'exciter la commisération.

L'agitation de cette vie. Je souhaite toujours me sentir disposé à. Me faire spectateur / devenir acteur du subtil, de l'utile, de l'exclusif, de l'agréable.
Il fallait que je rencontre cette Jusquiame. Je laissais l'autre dans la fontaine et me pressais, trottant à la sauvette vers le bas du village. Je dévalais vivement, passais le pont, croisais le curé, la messe était dite, je hochais la tête sourire.

Je voulais tellement lui renifler les fesses à la Jusquiame. Fouiller sous ses fleurs jaunes à veines pourpres, ses feuilles blanches et velues. Lui renifler les fesses à la Jusquiame, car elle exhale quand on la frotte, une odeur vireuse désagréable, comme la Belle dame. La Jusquiame je la trouvais au bout d'une demie-heure de course, allongée dans l'herbe et les bleuets, nue sous sa robe, des touffes de véronique à portée de la main.

Le clocher qui sonnait midi, le grand ruisseau qui s'énervait dans son lit près des moutons.



( nouvelle extraite du graphzine (de la Jusquiame) Gémir à la fontaine par Cameron Frye )

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