mardi 13 avril 2010

Du caramel érotique dégouline sur la chemise que je viens de repasser. C'est pas quelque chose que je peux prendre à la légère, j'empoigne une boîte d'allumettes et brûle ça immédiatement. Mon voisin de table se fait piquer par une mouche. Il y en a plusieurs autour de lui, il n'a jamais apprécié la douceur des bains, les bulles de savon le rendent nauséeux. Il faut ajouter qu'on se trouve dans une petite maison, en pleine campagne bretonne. Des communautés de bovins nous encerclent. La négligence de mon camarade en matière de toilette corporelle ne peut être considérée comme seule responsable.
"Quelle mouche te pique?" je demande.
"J'en sais rien. Tu sais, elles sont si nombreuses, je ne les reconnais jamais, et puis, elles circulent si vite. Vois comme elles zigzaguent dans la pièce, de véritables bolides mon pote"

Je termine la vaisselle pendant qu'il pisse devant la maison. Il fait bon aujourd'hui, on va aller marcher dans les environs. Atteindre le sommet, redescendre par l'autre versant, main dans la main. Je pense qu'il m'offrira un pétale de muguet après qu'on ait traversé les champs encore humides qui entourent la colline. Je sais qu'une sensation déplaisante m'envahira aussitôt qu'on aura atteint le café près de la route: je devrais essorer mes chaussettes sur le plancher, garder les pieds en éventails pendant un bon moment. Mon camarade soufflera sur leur plante.

Je fais du rangement dans le bureau, déjà je l'entends qui soupire dans le vestibule. Il déteste l'ordre et la propreté, ça le déséquilibre quand il avance dans la maison. Mais si je le laissais gérer les choses à sa manière, tout irait de travers. Je préfère sentir la chaleur du fer sur mes slips, lui ça le répugne. Parfois je lui repasse une jupe, il a les lèvres qui deviennent noires, il sautille partout et grimpe en haut des silos à grain.
"D'ici on entend mieux le ruisseau qui coule sous la propriété. Tiens au fait j'ai croisé la nouvelle bibliothécaire ce matin, elle a une sacrée paire tu verras. Elle a l'air stricte, je doute qu'on puisse continuer de jouer à la belote sur les canapés, comme nous laissais faire l'ancienne. Je dis ça, j'en sais rien. Ce sont ses lunettes qui m'ont donné cette impression de joie soudainement achevée"

Joie soudainement achevée. Moi aussi, j'ai cette impression qui zone en moi depuis quelques semaines. Depuis la mort de notre chien. Un lévrier à tâches, foudroyé par l'immense roue arrière d'un tracteur. Avec mon camarade on a été brûler toute la récolte de ce mec. Il nous en veut pas tout à fait vu qu'il a lui aussi un lévrier à tâches. Il comprend notre peine: sa femme dépose une jarre de confiture le dimanche matin en allant à la messe. Confiture qu'elle prépare avec sa rhubarbe.

"Et au milieu je sais pas trop. Je pense que les récifs n'y sont pas, on peut nager sans craindre pour ses pieds. Une coupure au pied dans l'eau de mer te picote terriblement"
Le vent bouche mes oreilles. Cet été nous avons voyagé sur la côte californienne. San Francisco ça sent comme Bob Saget en fait. Son eau de toilette j'imagine traînait encore dans le coin. Mon camarade était coiffé d'un mulet, hommage à Jesse Katsopolis et à Angus Mac Guyver. On a couru comme des malades sur le pont rouge, ça nous a fait un bien. Le chien était avec nous, il mordait les connards.
Quand il faisait beau on allait profiter des seins nus sur les plages. Comme il faisait beau tous les jours on passait notre temps à faire ça. On discutait beaucoup tous les deux, surtout de Deleuze car on le voyait souvent dans les nuages (c'était notre jeu de l'été, trouver le maximum de philosophe dans les nuages) parfois le chien intervenait. Trois coups d'aboiement indiquaient qu'il avait soif.
Le soir on allait respirer à l'hôtel. On achetait des crayons et on respirait la mine. Coutume de notre jeunesse à tous les deux. La mine taillée je veux dire. On respirait la mine taillée.

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