vendredi 26 mars 2010

Le pardessus.

Il pendait à la porte de l'armoire. L'homme l'observait depuis plus d'une heure. De retour du magasin, il l'avait lancé là, geste de négligence. La rancoeur tambourinait sous sa peau. Il s'était affalé dans un profond fauteuil, la tête enfoncée dans la chemise, les sourcils dans les yeux. Il ne bougeait plus. Une jambe seulement tremblait. Il ne l'aimait pas, ce pardessus. Il était bien trop large pour lui, on ne voyait même plus ses mains quand il l'enfilait. Ses épaules doublaient de volume, il avait l'air bouffi, il détestait avoir l'air bouffi. Pourquoi l'avait-il acheté? Lui qui aimait paraître impeccable, que les gens s'arrêtent sur son allure, qu'on le félicite.
"Je vous trouve très élégant"

(Les mains dans les poches du pardessus) A travers le tissus, il pince du bout des ongles. Il pince le velours gris du pantalon. En le remontant, il sent l'air immerger ses fines chaussettes à motifs jacquard. Puis sa bouche se tord, il n'a jamais vu cette petite fille dans sa rue. Vêtue d'un manteau bleu marine en laine elle court après un rouge gorge peu craintif. Un noeud vert dans les cheveux, sympathique boule capillaire blonde. Blancheur enfantine.

"C'est idiot" dit-il en pliant le bras devant son torse. Il le remonte doucement, avançant son poignet à bonne distance de sa figure, permettant de jeter un coup d'oeil à sa montre. "Si je n'avais cet absurde rendez-vous chez le dentiste, j'offrirai sans attendre un thé à cette jeunette"

L'enfant trotte toujours sur la chaussée, au ralenti, les yeux pétillants (pensez aux rayons d'une bicyclette scintillants sous le soleil d'avril) Son écharpe décrit des mouvements amples et souples, animée par la course et la bise. La même qui souffle dans les cheveux de cet homme qui s'apprête à arpenter les trottoirs de la ville. Pour se rendre chez le dentiste.

Une neige se met à tomber, lentement, recouvrant les arbres et les chapeaux. Une neige de sucre, saupoudrée par quelques types en redingotes. Du haut de leurs échasses, ces types parlent fort de manière à ce que tout le monde entende. C'est ce que font les gens importants. Ceux qui ont des choses à dire. Ceux qui connaissent. (Ils ont le savoir et le font ouïr)

Le rouge gorge ne peut plus voler, écrasé sous le poids du sucre. La petite fille se met à pleurer, elle le saisit, le porte à ses petites lèvres.
"Je n'irai pas chez le dentiste ce matin" hurle l'homme en crachant chaque syllabes devant lui. Sa moustache soyeuse s'ébouriffe à mesure qu'il crache, de puissants souffles surgissent à toute vitesse de ses narines. Il fait craquer sa nuque d'un vif mouvement du chef, retrousse son pantalon de velours gris et... Promptement il soulève la jeunette, la prenant à bras tendus, sous les aisselles. Au dépourvu. L'homme court à présent sans savoir où aller. Il sait qu'il ne peut pas la ramener chez lui, que dirait sa femme?
Les types en redingote se sont arrêter sur leurs échasses non loin de là, à l'entrée d'un domaine boisé. Ils décident du chemin. Par où faut il poursuivre la semence? Par les champs ou par le bois, de toute manière le canton est à recouvrir, il s'agit d'être méthodique.

"Méthodique!" brame l'homme au pardessus. "Méthodique, il me faut une méthode si je veux séduire cette fille dans les règles"
L'enfant ne bronche plus, caresse le rouge gorge, le réchauffe dans ses petits doigts. Ses larmes ont vite séchées. Sa tête remue car l'homme n'est pas habile avec elle lorsqu'il court.

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